SNORRE KIRK
TOP DOG
Label Stunt Records
Sortie le 24 MARS
Un album très agréable à découvrir concocté par un formidable musicien. Le batteur norvégien Snorre Kirke qui vit à Copenhague n’en est pas à son premier album de 2012 Blues modernism qui annonçait la couleur, celle d'un jazz classique revendiquant la tradition. Il sort sur le label danois Stunt, distribué par UVM ce Top Dog, son 7 ème album en leader d’un quintet de luxe, une rutilante machine. Une formation quelque peu renouvelée avec, grande innovation, un guitariste rythmique Mads Kjolby qui endosse le rôle de Freddie Green, l’un des atouts majeurs de la formation de Count BASIE qui demeura fidèle au pianiste cinquante ans! Les autres complices restent le pianiste suédois Magnus Hjoerth depuis le début aux côtés du batteur et le bassiste Anders Fjeldsted depuis 2019. Snorre Kirk laisse, comme tous les grands quand ils sont aux commandes, ses partenaires suffisamment libres dans des échanges qui prennent leur sens en servant le propos assumé, son classique, swing élégant et intemporel. On croirait entendre des compositions de l’époque alors que l’écriture des dix titres est entièrement due à l’inspiration de ce maître des fûts qui n’écrit pas particulièrement pour son instrument. On pourrait presque dire que le son de la batterie est ce que l’on remarque le moins, tant la section rythmique est au service des souffleurs. On aurait tort de ne pas se laisser prendre par ces mélodies intemporelles qui paraphent avec panache une esthétique volontairement en retrait. Une fois encore les Scandinaves ont le chic de jouer le jazz sans tenter de le mêler à d’autres influences du monde. Ce sont peut-être eux les plus solides garants de la tradition et de la perpétuation de cette musique qui leur était pourtant étrangère au départ. Mais les Nordiques ont toujours su intégrer le jazz à leur culture d’origine.
Un All Jazz Band scandinave jusqu’à un certain point car la rythmique tourne autour autour du lumineux saxophoniste ténor américain Stephen Riley auquel se joint le deuxième saxophoniste danois ténor et alto Michael Blicher.
Riley a déjà enregistré avec Kirk, ce sont donc des retrouvailles qui débutent par un bon vieux blues, "Working The Night Shift" où s’expriment les deux soufflants, la rythmique accompagnant softly and gently, façon décontractée! Suit “Top dog”, titre pour le moins mystérieux si ce n’est que le batteur pose imperturbable, avec son chien sur la pochette, très “dead pan humour”, une compo alerte, espiègle même où s’amusent les compères dans un rythme et un swing nettement plus intenses. Dans “On late nights”, l’une de ces ballades courtes mais ensorcelantes, le saxophone mène la danse, sur le souffle, chuchotant d’aise, très sensuel. Et ainsi coulent les mélodies dans une alternance de titres enlevés dans la tradition gospel “Bring me home” et de ballades tendres jamais sirupeuses ou mièvres cependant. Les sax s’envolent sur “Meditations in blue” sur un tempo medium, chaloupant, plus propice à la danse et aux rythmes brésiliens qu’à la réflexion. "Swing point" porte bien son nom, ça pulse et remue dans la plus pure tradition des Four Brothers de Woody Herman. Avec “Easy Roller”, on revient sur les terres du Count et la guitare rythmique est à son aise, entraînant cette pulse constante qui structure le morceau. L’un des titres les plus prenants est sans doute une ballade sur le versant mélancolique “Yesteryear” qui nous bluffe complètement : c’est bien une composition de Snorre Kirke qui a su saisir admirablement l’esprit de ces mélodies rétro où Billie aurait pu poser sa voix qu’auraient pu conduire Ben Webster ou Coleman Hawkins. L’album qui a du chien se termine par une pirouette comme il a commencé, un hommage au Count et au blues sur ce “Boogie Rider.”
Classique mais convaincant, ce Top Dog ! Alors, ne boudons pas notre plaisir.
Sophie Chambon