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23 mars 2023 4 23 /03 /mars /2023 12:29
SNORRE KIRK   TOP DOG

SNORRE KIRK

TOP DOG

Label Stunt Records

Sortie le 24 MARS

 

On Late Nights - YouTube

 

Un album très agréable à découvrir concocté par un formidable musicien. Le batteur norvégien Snorre Kirke qui vit à Copenhague n’en est pas à son premier album de 2012 Blues modernism qui annonçait la couleur, celle d'un jazz classique revendiquant la tradition. Il sort sur le label danois Stunt, distribué par UVM ce Top Dog, son 7 ème album en leader d’un quintet de luxe, une rutilante machine. Une formation quelque peu renouvelée avec, grande innovation, un guitariste rythmique Mads Kjolby qui endosse le rôle de Freddie Green, l’un des atouts majeurs de la formation de Count BASIE qui demeura fidèle au pianiste cinquante ans! Les autres  complices restent le pianiste suédois Magnus Hjoerth depuis le début aux côtés du batteur et le bassiste Anders Fjeldsted depuis 2019. Snorre Kirk laisse, comme tous les grands quand ils sont aux commandes, ses partenaires suffisamment libres dans des échanges qui prennent leur sens en servant le propos assumé, son classique, swing élégant et intemporel. On croirait entendre des compositions de l’époque alors que l’écriture des dix titres est entièrement due à l’inspiration de ce maître des fûts qui n’écrit pas particulièrement pour son instrument. On pourrait presque dire que le son de la batterie est ce que l’on remarque le moins, tant la section rythmique est au service des souffleurs. On aurait tort de ne pas se laisser prendre par ces mélodies intemporelles qui paraphent avec panache une esthétique volontairement en retrait. Une fois encore les Scandinaves ont le chic de jouer le jazz sans tenter de le mêler à d’autres influences du monde. Ce sont peut-être eux les plus solides garants de la tradition et de la perpétuation de cette musique qui leur était pourtant étrangère au départ. Mais les Nordiques ont toujours su intégrer le jazz à leur culture d’origine.

Un All Jazz Band scandinave jusqu’à un certain point car la rythmique tourne autour autour du lumineux saxophoniste ténor américain Stephen Riley auquel se joint le deuxième saxophoniste danois ténor et alto Michael Blicher.

Riley a déjà enregistré avec Kirk, ce sont donc des retrouvailles qui débutent par un bon vieux blues, "Working The Night Shift" où s’expriment les deux soufflants, la rythmique accompagnant softly and gently,  façon décontractée! Suit “Top dog”, titre pour le moins mystérieux si ce n’est que le batteur pose imperturbable, avec son chien sur la pochette, très “dead pan humour”, une compo alerte, espiègle même où s’amusent les compères dans un rythme et un swing nettement plus intenses. Dans “On late nights”, l’une de ces ballades courtes mais ensorcelantes, le saxophone mène la danse, sur le souffle, chuchotant d’aise, très sensuel. Et ainsi coulent les mélodies dans une alternance de titres enlevés dans la tradition gospel “Bring me home” et de ballades tendres jamais sirupeuses ou mièvres cependant. Les sax s’envolent sur “Meditations in blue” sur un tempo medium, chaloupant, plus propice à la danse et aux rythmes brésiliens qu’à la réflexion. "Swing point" porte bien son nom, ça pulse et remue dans la plus pure tradition des Four Brothers de Woody Herman. Avec “Easy Roller”, on revient sur les terres du Count et la guitare rythmique est à son aise, entraînant cette pulse constante qui structure le morceau. L’un des titres les plus prenants est sans doute une ballade sur le versant mélancolique “Yesteryear” qui nous bluffe complètement : c’est bien une composition de Snorre Kirke qui a su saisir admirablement l’esprit de ces mélodies rétro où Billie aurait pu poser sa voix qu’auraient pu conduire Ben Webster ou Coleman Hawkins. L’album qui a du chien se termine par une pirouette comme il a commencé, un hommage au Count et au blues sur ce “Boogie Rider.”

Classique mais convaincant, ce Top Dog ! Alors, ne boudons pas notre plaisir.

 

Sophie Chambon

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15 mars 2023 3 15 /03 /mars /2023 13:49

Julien Soro (saxophones ténor & soprano, clavier, raquette), Stephan Caracci (vibraphone, percussions, clavier, raquette), Ariel Tessier (batterie, raquette)

Ludwigsburg (Allemagne), 12-13 avril 2022

Neuklang NCD 4265 / Big Wax

 

C’est comme une métaphore du ping-pong musical : la première plage (Dreaming Ping Drumming Pong) commence avec les raquettes et la balle…. Mais c’est bien le vif du sujet dans lequel nous venons d’entrer. On est assurément dans le collectif, l’interactif et le réactif. Ce qui n’exclut ni le lyrisme, ni le concerté, voire le concertant. Tout le spectre du jazz et de ses provinces est visité, à partir d’un motif, d’un rythme, d’une esquisse ou d’une impression diffuse. Bref, c’est comme un condensé de la vie de cette musique et de ses interprètes-improvisateurs. Des surprises, à la faveur d’une pulsation qui s’emballe, d’un instrument qui surgit. Comme un voyage dans l’imprévu, le mutin ou le grave, selon les instants. Et toujours ce condensé d’intelligence, de sensualité musicale et de jeu. Beau travail d’artistes !

Xavier Prévost

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Le groupe est en concert le samedi 18 mars à Paris au 360 Music Factory

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Des avant-ouïr sur Youtube 

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10 mars 2023 5 10 /03 /mars /2023 17:49

Stéphan Oliva (piano), Sébastien Boisseau (contrebasse), Tom Rainey (batterie)

Sarzeau (Morbihan), mai 2022

Yolk Records J 2085 / l’autre distribution

 

Le programme annonce la couleur : 8 compositions du pianiste, 2 compositions-improvisations collectives, 2 thèmes du bassiste et, pour conclure dans la logique du titre, Orbit de Bill Evans. Le tout constitue presque un manifeste, celui d’une certaine idée du trio (très) contemporain, loin des tourneries de groove nombrilique qui n’en finissent pas de se mordre la queue depuis le milieu des années 90. Un concentré d’invention, d’audace, de liberté et d’interaction qui nous rappelle que le jazz, au sens d’hier comme à celui d’aujourd’hui (ici c’est dé demain), continue de se recréer, de se régénérer, nourri de l’histoire autant que du désir de voir loin : vers l’insondable cosmos ? Et pourquoi pas vers l’horizon que contemple L’Étranger du poème éponyme de Baudelaire « … là-bas… là-bas… les merveilleux nuages ! ». La peinture a parlé depuis l’Après Guerre d’abstraction lyrique. Ici l’on est en territoire d’abstraction sensuelle (pardon pour l’oxymoron). La matière sonore fait corps avec l’idée musicale, qui nous entraîne loin de nos repères, de nos présupposés, de nos habitudes d’écoute (même si nous sommes habitués à écouter ces trois oiseaux-là, libres comme l’air). Bref, c’est magnifique.

Xavier Prévost

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Un avant-ouïr sur Youtube

 

 

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8 mars 2023 3 08 /03 /mars /2023 19:02

   ... Avec Esaïe CID (saxophone alto et clarinette), Benjamin Dousteyssier (saxophone baryton et soprano), Alex Gilson (contrebasse) et Paul Morvan (batterie).
    Studio Boléro, Draveil, juin 2022.
   Swing Alley Records – SA 046 / Fresh Sound Records / Socadisc
    Paru en décembre 2022.
    Concert prévu le 9 mars au SUNSIDE (75001).

    Le personnel change, l’instrumentation aussi mais restent le format (quartet sans piano) et l’esprit (une atmosphère West Coast des années 50).

 

    Deux ans après le second volet consacré à la compositrice américaine quelque peu oubliée, Kay Swift (1897-1993), le saxophoniste espagnol Esaïe Cid nous revient avec une balade dans sa ville francilienne d’adoption, Saint-Ouen. Uniquement des compositions personnelles qui mettent en valeur le lyrisme et l’élégance distillés par le leader ici accompagné par un saxophoniste baryton et soprano (la seconde voix cuivrée était tenue dans l’album précédent par un tromboniste) et une rythmique basse-batterie.

 

    Le parcours musical proposé permet ainsi de découvrir quelques-unes des figures ayant marqué l’histoire de la cité audonienne, du marquis de Sade à Dadon, le saint patron de la ville, en passant par Louis Cressé, grand-père maternel de Molière. Sur ces repères, Esaïe Cid a laissé aller sa plume avec grâce, ouvrant l’album par un mambo revigorant (Cressé Mambo) et n’hésitant pas à adopter une mesure à 3 temps (Boigues le dépeceur).

 


     Un livret donne force détails sur les personnalités évoquées et apporte un éclairage apprécié sur l’histoire d’une ville qui ne doit donc pas sa renommée uniquement au Marché aux Puces et (pour les amateurs de ballon rond) au Stade Bauer, terrain d’évolution d’un club au passé glorieux, le Red Star.
 


    Un album chaudement recommandé qui fait souffler un vent léger.

 

Jean Louis Lemarchand.

 

 

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8 mars 2023 3 08 /03 /mars /2023 16:42
PAPANOSH       A VERY BIG LUNCH

Label Vibrant/ /Enja Records

Papanosh quintet (lesvibrantsdefricheurs.com)

 

Découvert lors du Charlie Jazz Festival de 2013 à Vitrolles où ils étaient la révélation de Jazz Migration, PAPANOSH (comprendre une recette de crêpe roulée... ukrainienne) était un jeune quintet sous emprise de folklores réels ou imaginaires, d’Alasnoaxis de Jim Black, nourris au jazz des Monniot et Dehors, allant se frotter au compliqué Lubat. Ils ne sont pas dépaysés, ces musiciens qui viennent de Rouen, ces diables de Normands d’aller sur les terres du flamboyant Jim Harrisson, les grands espaces du Nord Michigan.

Le pianiste Sébastien Palis, visiblement inspiré par l’écriture ardente de Big Jim, a composé une musique tout en impros-ruptures, fidèle à un esprit roots qui évolue avec un bel instrumentarium, saxophones, trompette, contrebasse, drums, piano, balafon et Wurlitzer! Huit compositions plutôt courtes, ce qui n’est pas pour nous déplaire, car elles conservent ainsi jusqu’au final leur intensité frémissante. Ces quadras actifs et volontaires du collectif les Vibrants Défricheurs - une nébuleuse de groupes au nom tous plus allumés et ludiques, sortent sur le bien nommé label  Vibrant un nouvel album A Very Big Lunch. Que l’on pourrait comparer à une grande bouffe, joyeuse cette fois et toujours très arrosée. Si le géant cyclope était passionné de cuisine, ses livres de recettes sont tout bonnement impossibles à réaliser tant ils évoquent de gargantuesques ripailles!

Truculents, irrigués d’une mélancolie mâtinée d'ironie, les livres ont souvent été qualifiés de construction musicale. Une adéquation au thème qui n’a pas échappé au quintet qui évoque dans cette bande-son imaginée romans et personnages. On pourrait d’ailleurs écouter, sans regarder les titres et chercher de quel roman chaque composition se rapproche...

On aurait pu craindre que Papanosh ne se soit assagi quelque peu, attentif à célébrer la figure de l’ogre de la littérature américaine au pas nonchalant. Mais dès la fin du premier titre, “Faux Soleil”, le rythme s’accélère, se poursuit sur le “Westward Ho” suivant, invitation à partir à l‘ouest vers la frontière pour défricher de nouvelles terres. Papanosh garde sa pertinence dans les choix et orientations esthétiques dans une alternance de climats qui n’enlève rien à la cohérence de ce qui constitue une suite. Le très beau “Nord Michigan”, hymne à cet état si peu emblématique pour nous Européens, est une ballade qui s’adapte entre chasse, pêche et virées nocturnes. Toujours puissant, mais sans brûler, voilà un drôle de remontant. Une écriture lyrique qui s’appuie sur des formidables solistes, deux soufflants qui avancent ensemble, aux timbres complémentaires, aux contrepoints parfaits : le trompettiste Quentin Ghomari et le saxophoniste alto et baryton Raphael Quenehen.

Ces variations prennent le temps de se fixer dans des tableaux sonores complexes et intrigants. On part sur une nouvelle piste, traçant “Wolf” : sur un rythme plus lent, cette invocation-tournerie de tribu indienne, chaloupe sur la musique des fûts et des peaux de Jérémie Piazza et de l’autre pilier rythmique, le contrebassiste Thibault Cellier et nous fait entrer dans l’univers envoûtant du sorcier.

Dans la roue d'un trio qui prend la route pour faire sauter un barrage vers le grand Canyon, retournant dans l’Amérique des années soixante, celle de la jeunesse d’Harrisson et de la contreculture, voilà le formidable “A good day to die”, formule indienne qui devient road trip musical, plus affolant, heurté et forcément exposif. Sans pour autant annoncer le final splendide, plus léger et doux, une mélodie que tous se partagent, insufflée en hommage à l’attachante Dalva, l’héroïne de l’un des romans les plus célèbres de Jim Harrisson.

La musique du quintet, en décalage pour mieux s’échapper vers un horizon inconnu, n'est jamais tout à fait là où on l’attendrait, et c’est bon. Un album spontané et exaltant,  captivant de bout en bout, à consommer sans modération en n’hésitant jamais à se resservir.

Sophie Chambon

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6 mars 2023 1 06 /03 /mars /2023 08:41

OJM Studios (Portugal, 28 novembre 2021.
Justin Time Records. Paru le 17 février dernier.

 

    Rare sur la scène parisienne depuis qu’il s’est installé en Amérique du Nord voici un bon quart de siècle (New-York puis Montréal), Jean-Michel Pilc se rappelle à notre bon souvenir par le disque. Deux albums sortis en moins d’une année voient le pianiste s’exprimer dans ses deux formats préférés, le trio (‘’Alive. Live at Dièse Onze, Montréal’’, voir chronique de Xavier Prévost) et le solo (‘’Symphony’’), tous deux publiés par le label québécois Justin Time.


    L’exercice du solo appartient depuis longtemps à l’univers du jazzman qui délaissa le prestigieux Centre National des Etudes spatiales, son emploi après Polytechnique, pour l’aventure de la musique improvisée.
    En 2004, avec  ‘’Follow Me’’ (Dreyfus Jazz), Pilc brassait un large répertoire, de Trénet et Brassens à Mercer et Hammerstein. . « Un artiste, ce n’est pas un distributeur automatique, nous confiait-il alors,  C’est un kaléidoscope. Il y a des vents d’ouest, des vents d’est, des grandes et des petites marées. La musique   est un fluide. »

 

    Le pianiste n’a pas renié ses engagements. L’improvisation, il l’a travaillée, il l’a théorisée dans un ouvrage, il l’enseigne à l’Université à Montréal. Dans « Symphony », Jean-Michel Pilc s’en donne à cœur joie sur ses propres compositions, tirant profit de conditions optimales, à son avis, pour un enregistrement (un Steinway magnifique, une acoustique parfaite) dans un studio sis au Portugal (OJM à Matosinhos) où il venait d’accompagner un saxophoniste à l’automne 2021.

 

    Dans ce cinquième album de sa carrière en solo, Jean-Michel Pilc nous délecte avec ces alternances de coups de tonnerre et de ruissellements de notes qui constituent sa signature. On retrouve l’admirateur de Fats Waller et d’Art Tatum ou encore le pianiste respecté par Martial Solal qui partagea avec celui-ci la scène dans des duos mémorables en club. Ces deux artistes partagent bien le goût de l’imprévu, le sens de l’humour. Avec Symphony, Jean-Michel Pilc se présente au sommet de son art et nous offre un album profond qui réserve à chaque écoute, son lot de (délectables) surprises.

 

Jean-Louis Lemarchand.

 

 

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5 mars 2023 7 05 /03 /mars /2023 15:58

Mikkel Ploug (guitare), Mark Turner (saxophone ténor), Jeppe Skovbakke (contrebasse), Sean Carpio (batterie)

Copenhague, 25-27 avril 2022

Stunt Records STUCD 22112 / UVM

 

Très étonnant (et très réussi) parti pris de jouer pour l’essentiel, en les adaptant, des thèmes de deux compositeurs classiques danois : l’historique Carl Nielsen (à cheval sur le 19ème et le 20ème siècles) et le contemporain sexagénaire Bent Sørensen ; ainsi qu’une pièce pour piano et voix de l’Ukrainien Valentin Silvestrov (né juste avant la seconde guerre mondiale). Et aussi 4 compositions du guitariste. Il en résulte une indiscutable unité stylistique, qui tient autant au choix des pièces issues d’autres instrumentations qu’à l’arrangement, la mise en forme, et la mise en œuvre dans un contexte où le lien entre l’écrit et l’improvisé semble couler de source. Le guitariste chante ses lignes, ce qui rappelle un certain pianiste, mais cela coïncide totalement avec l’expression. On est en territoire de lyrisme intense, et pourtant tout est fluide, presque diaphane, une sorte de mystère en mouvement. L’extrême élaboration se devine, mais subsiste une impression d’évidence, une sorte de ‘naturel’ très construit qui nous donne l’illusion que tout coule de source : Grand Art, en quelque sorte. Le groupe, le choix du répertoire et les développements des solistes, nous transportent littéralement dans un ailleurs qui, même s’il éveille dans notre esprit souvenirs et analogies, résonne en nous comme un bonheur inédit.

Xavier Prévost

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4 mars 2023 6 04 /03 /mars /2023 19:39
PEDRON  RUBALCABA

PEDRON RUBALCABA

LABEL GAZEBO/L’Autre Distribution

Pierrick PEDRON Official Website

 

Vous ne devriez pas rester indifférents au nouvel album de l’altiste Pierrick Pedron en duo avec le pianiste Gonzalo Rubalcaba intitulé sobrement Pedron Rubacalba. Une alliance artistique inattendue mais espérée, voire fantasmée par le saxophoniste qui n’hésite jamais à traverser l’océan pour retrouver ses idoles jazz. 

Aucune composition originale cette fois, mais des standards recherchés avec soin dans l’histoire du jazz par le directeur artistique Daniel Yvinec et arrangés par le grand pianiste bop Laurent Courthaliac, l’une des plumes les plus raffinées actuelles. Autrement dit, une histoire quatre partenaires forment une belle équipe. Huit pièces denses et inventives avec leurs modulations brusques, leurs variations de temps et la même ferveur. Il suffit d’écouter et de voir la vidéo de "Lawns" par exemple pour être subjugué, sous le charme irrésistible de ce thème de Carla Bley, étiré lancoliquement par les deux musiciens qui s’accordent parfaitement.

Enregistré live en seulement deux jours, en juin 2022, au studio Oktaven de New York , ce CD est un album qui réussit le délicat équilibre du duo, sorti sur Gazebo, le label de Laurent de Wilde qui ne peut résister une fois encore à “un vrai disque de jazz”. Travailleur acharné et perfectionniste, Pierrick Pedron n’allait pas s’arrêter après son album de la maturité 50/50. Il se donne toujours toutes les chances pour réussir ses projets aussi divers qu’ambitieux. Réfléchissant à leur faisabilité, il a dû se résoudre cette fois à abandonner (pour le moment), un projet pharaonique qui aurait fait appel à un orchestre symphonique pour un nouveau défi, un duo piano-saxophone qui se révèle aussi opulent qu’une très grande formation.

L’aventure a commencé en studio, face à face, jouant sans casque mais non sans avoir préparé le terrain. Tous les arrangements étaient prêts, avaient été proposés au pianiste, ses suggestions avaient été intégrées. Quelque chose d’unique s’entend à l’énoncé de ces huit compositions réinventées de Jerome Kern (le délicat “The song is you”), Bechet (l'émouvant "Si tu vois ma mère"), Carla Bley (Lawns) sans oublier le moderniste Georges Russell le vif “Ezz-thetic” : un son unique émerge  qui ne trompe pas, car la formation en duo ne permet aucune esquive : on joue comme on est en répondant aux sollicitations de l’autre, dans un échange qui, s’il est réussi comme ici, est quasiment télépathique. En toute intimité et vérité. A nu.

Ils ont tous deux la même énergie créatrice, le talent de donner de l’ampleur à ces confidences, de faire jaillir des couleurs insoupçonnées, des climats plus insolites comme dans le standard de Bechet dont Woody Allen, dès le générique de son Midnight in Paris, se régalait d’illustrer le vibrato si spécifique par ces images-cartes postales. La plainte devient flânerie chaloupée puis chant exacerbé d’un saxophone à vif.

Le duo est en réinvention incessante, dans une mise en place parfaitement maîtrisée qui n’interdit aucune réaction instinctive aux suggestions du partenaire. Une liberté autorisée sous le contrôle de l’autre. Il faut bien connaître les règles et les arrangements pour les tordre à sa guise et à la convenance de l’autre, dans l’instant. Cet élégant dépouillement acoustique en duo fait ressortir l’entente parfaite, l’interaction immédiate.

Expressif et charmeur, le son de Pierrick Pedron l’est toujours, cette fois, il a travaillé des anches plus dures qui rendent le son plus moelleux et rond. L’accompagnement pianistique est tout aussi inventif, décalé, en brefs épanchements qui font mouche à chaque fois, comme dans ce “Dreamsville”d’Henri Mancini. Sur l'éruptif “Ezz-thetic” le piano devient orchestral. Dans cette autre très belle mélodie de Jérôme Kern “The folks who live on the hill”, le  piano se révèle impressionniste sur une pièce atmosphérique triste.

Cet album épatant marque la rencontre réussie de deux solistes généreux, puissants, soucieux de mélodie et de rythme qui nous entraînent dans une musique désirante. Ils ont visiblement pris du plaisir à interpréter ces pièces qui parlent d’attirance et d’abandon, comme dans le final de Billy Strayhorn “Pretty girl”, dédié à celui qui connaissait si bien cette musique, Claude Carrière. Un sans faute.

 

Sophie Chambon

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26 février 2023 7 26 /02 /février /2023 17:18

 

Jean-Christophe Cholet (piano, compositions & improvisations), Quentin Cholet (matières sonores)

Paucourt (Loiret), juillet-août 2021

Boris Darley (traitement du son)

Épineuil (Yonne), juillet 2022

Infingo INF320220 / l’autre distribution

 

Une entreprise très singulière. Ce disque est le second volet d’une trilogie, en cours, de piano solo. Le premier volet, «Amnesia», avait été conçu durant la parenthèse du confinement (chronique de Sophie Chambon sur le site des DNJ en suivant ce lien). Cette fois des improvisations solitaires ont été retravaillées avec des matières sonores de Quentin Cholet, et un traitement électronique de Boris Darley. Il en résulte une sorte de voyage intérieur, mais dialogué, amendé, avec les partenaires choisis. De plage en plage, on passe d’une introspection harmonique soudain nourrie de rythmes obsédants à une libre déambulation dans les douze demi-tons, puis à une solennité de choral du temps passé, et à une mélodie d’accords aux saveurs de standard, avant de plonger dans le dialogues des basses et des aigus, et ainsi de suite. De surprise en surprise, on devient captif de cette quête qui n’est pas la nôtre, et à laquelle, pourtant, nous sommes conviés. Intense, requérant, et nimbé d’une beauté mystérieuse….

Xavier Prévost

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Un avant-ouïr sur Youtube

Concert de sortie à Paris (18ème arrondissement) le 28 février à 20h à L’Accord Parfait, 47 rue Ramey

https://my.weezevent.com/animA-Jean-Christophe-Cholet

http://studiolaccordparfait.com

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21 février 2023 2 21 /02 /février /2023 11:16

Enregistré du 19 au 21 octobre 2018.
Palmetto Records - PM2208CD /L’autre distribution.
Paru le 3 février 2023.
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    Heureuse surprise que cet enregistrement conservé depuis quatre ans, la rencontre en club de deux artistes qui se connaissaient déjà à l’époque depuis cinq ans. Autant dire que le courant passe entre Fred Hersch et esperanza spalding (ndlr : écriture en minuscules à la demande de la musicienne), distingués de longue date par la communauté musicale (5 Grammys pour elle et double lauréat de l’Académie du Jazz, 2001 et 2015, pour lui).


     Ici, portés par l’ambiance du Village Vanguard, Fred Hersch, au piano, et esperanza spalding, au chant (délaissant son instrument de prédilection, la contrebasse) déroulent leur art en toute liberté, avec fluidité et légèreté. Etait-ce dû au fait que l’une et l’autre traversaient une période difficile dans leur vie personnelle ? Toujours est-il qu’ils atteignent une certaine forme de sérénité, donnant même par instants un aspect primesautier à leurs interprétations, comme dans Girl talk (Neal Hefti/Bobby Troup).


    Le répertoire révèle l’éclectisme des duettistes : du Monk (Evidence, et une composition du pianiste Dream of Monk), un des musiciens préférés de Fred Hersch) mais aussi du Parker (Little Suede Shoes), des standards (But Not For Me, des Gershwin, Some Other Time de Cahh-Styne) et une autre composition signée Hersch (A Wish) avec des paroles dues à une chanteuse-culte, princesse de l’intime, Norma Winstone.

    « Fred prend son dévouement à la musique aussi au sérieux que la vie et la mort, mais une fois que nous jouons c’est juste amusant » commente dans le livret esperanza. « esperanza ? une chanteuse intrépide », répond en écho Fred.


    Avec « Alive at Village Vanguard », Fred Hersch et esperanza spalding nous offrent une nouvelle réussite dans la catégorie duo pianiste-chanteuse, rejoignant ainsi les tandems mixtes de haute volée qui ont marqué l’histoire du jazz, Helen Merrill-Gordon Beck ou Jeanne Lee-Ran Blake. Downbeat leur a consacré la « une » de son édition de janvier. Un choix que nous partageons sans réserve.

 

Jean-Louis Lemarchand.

 

 

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